Située au 12 rue Sainte-Catherine, au bas des pentes de la Croix-Rousse, se trouve une plaque. Une plaque commémorant une rafle. Dans une rue non fréquentée par les touristes, elle est pourtant indispensable et nous rappelle notre devoir de mémoire...
L’Histoire d’une rafle
Pour vous raconter cette histoire, l’histoire de 86 personnes, il nous faut vous replonger en 1943, au coeur de la Deuxième Guerre Mondiale.
Le bureau de l’UGIF
Le gouvernement de Vichy est alors en charge de gérer la partie non occupée de la France. Le 29 novembre 1941, ce gouvernement crée l’Union Générale des Israélites de France (UGIF). Son but? Contrôler la communauté juive de France. L’UGIF a rapidement installé au 12 de la rue Sainte-Catherine à Lyon un bureau d’œuvres sociales. Il s’agit de la branche de l’UGIF dédiée à l’Assistance aux Juifs Etrangers.
Ce bureau, bien qu’étroitement contrôlée par les autorités, parvient tout de même à développer un réseau d’entraide très précieux pour la communauté juive. Par conséquent, de nombreux Juifs viennent dans les locaux de la rue Sainte-Catherine à la recherche de soins médicaux ou d’une aide matérielle. Le bureau permet aussi aux Juifs de se procurer des faux-papiers, d’être placés en sécurité chez des sympathisants non-juifs et organise même des passages en Suisse.
La rafle
Mais très vite, le secret est éventé. Le 9 février 1943, la Gestapo, sous les ordres du tristement connu Klaus Barbie, tisse son piège. En ce triste jour, toute personne se présentant au bureau: bénévole, résistants, assistés sont arrêtés. 86 personnes. 86 personnes voient leur vie basculée. 62 hommes, 24 femmes.
D’abord emprisonné au Fort Lamothe (Blandan ici à Lyon), le groupe est transféré au camp de Drancy (nord-est de Paris) le 12 février. Puis sur les 86 prisonniers, 80 sont déportés dans les camps d’Auschwitz-Birkenau, Sobibor et Bergen-Belsen. Le plus jeune a 13 ans.
En 1945, seuls 3 auront survécu. Ils témoigneront lors du procès contre Klaus Barbie en 1987.
De trop rares miraculés
Parmi les personnes qui vinrent au 12 rue Sainte-Catherine, ce jour-là, certains sont de vrais miraculés.
Tout d’abord Chana Grinzpan et son bébé. Eux aussi sont venus ce jour-là, dans les bureaux de l’UGIF. Chana était arrivée à Lyon après l’arrestation de son mari à Paris en juillet 1942, lors de la rafle du Vélodrome d’hiver. Elle est alors seule avec son bébé de huit mois, qu’elle amène en consultation médicale à l’UGIF. Elle est arrêtée, enfermée dans une pièce dans laquelle sont entassées les personnes au fur et à mesure de leur arrivée à l’UGIF. Un policier allemand la laisse finalement partir « sans doute excédé par les pleurs de l’enfant ».
Il y avait aussi Michel Kroskof Thomas. Né à Lodz en Pologne, il a alors 29 ans. Déjà il s’était échappé du Camp des Mille à Aix-en-Provence. Il y avait été emprisonné comme Juif et résistant. Il était alors venu à Lyon pour recruter des réfugiés juifs d’Allemagne et d’Autriche pour entrer dans l’armée secrète. Ce 09 février, il parvint à berner la Gestapo et court dans les cafés habituels des réfugiés juifs afin de les avertir du piège de la rue Catherine.
Le procès de Klaus Barbie
La rafle de la rue Sainte-Catherine est la plus importante réalisée à Lyon par la Gestapo. Mais elle devint un crime oublié. Jusqu’en 1987. Là, enfin, ce crime fut jugé lors du procès intenté pour crimes contre l’humanité à Klaus Barbie, chef de la Gestapo à Lyon de 1942 à 1944.
Cette rafle fait, en effet, partie des très nombreuses charges retenues contre lui. Serge Klasfeld, avocat, oeuvre pour réussir à identifier l’ensemble des victimes de cette rafles.
Rachmil Szulklaper, l’un des survivants de la rafle, témoigne lors de ce procès historique. Voici ses propos :
« À l’époque, je faisais partie de la Fédération des sociétés juives de France, qui avait pour activité clandestine de faire passer des enfants en Suisse. Pour cette activité, j’ai profité des locaux de l’UGIF, 12 rue Sainte-Catherine à Lyon. C’est pourquoi je me trouvais là, le , lorsqu’a eu lieu la rafle.
Vers le milieu de la matinée, six ou sept hommes en civil et armés de la Gestapo allemande accompagnés de SS ont pénétré dans les locaux de l’U.G.I.F. en criant en allemand de mettre les mains en l’air. Ils ont pris nos papiers d’identité et nous ont groupés dans un coin d’une pièce, sous la garde de gens armés.
Au début, nous n’étions pas nombreux, mais au fur et à mesure les juifs qui arrivaient se faisaient prendre comme nous. Ils venaient au siège de l’UGIF pour recevoir des aides diverses. Les Allemands s’assuraient que nous étions juifs pour procéder à nos arrestations. Mon frère Victor et deux autres personnes qui possédaient de faux papiers d’identité ont été relâchés. Ceci prouve bien qu’il s’agit d’un crime racial »— Rachmil Szulklaper, procès Barbie
La Plaque
Cette plaque commémorative se situe donc rue Sainte-Catherine, immédiatement au nord de la place des Terreaux, au bas des pentes à l’endroit même où eut lieu la rafle. Elle est installée en 2011 par l’association des Fils et Filles des déportés juifs de France.
Elle égrène le nom des 86 personnes qui subirent la violence et la haine nazies. Parmi ces noms, il y a d’illustres inconnus mais aussi des personnes comme Simon Badinter. Il était le père de Robert Badinter, remarquable avocat, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, défenseur des droits humains et instigateur de l’abolition de la peine de mort. Simon Badinter, bénévole à l’UGIF, mourut au camp de Sobibor.
Aujourd’hui, la rue Sainte-Catherine est surtout connue pour ses bars et boîtes de nuit. Et nombreux sont les passants qui passent leur chemin sans prêter attention à cette plaque. Alors une fois par an, suspendons le temps et rappelons nous.
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